L’«affaire» Durendal vs Enthoven
25 décembre 2014 | Non classé
Que s’est-il passé ?
En résumé le philosophe radiophonique et télégénique Raphaël Enthoven est venu parler de ce que Tocqueville a à dire sur la démocratie. Le problème de la tyrannie de la majorité est très intéressant, et la psychologie évolutive rejoint les interrogations que l’on peut avoir sur le niveau réel de notre liberté au sein de la démocratie, sur les mécanismes psychologiques à l’oeuvre dans l’émergence des lieux communs, des tabous, des évidences. Il y avait beaucoup de choses à en dire. Sujet intéressant. Mais quel rapport avec une chaine de critique de cinéma sur Youtube ?
Pour illustrer son propos, l’animateur pioche sur Internet un extrait d’imbécilité youtubesque et il jette son dévolu sur Durendal. Enthoven peut alors juger inadmissible qu’un petit youtubeur fasse des blagues de mauvais goût dans lesquelles il « appelle à euthanasier Jean-Luc Godard ».
Il déploie tout son talent en traitant Durendal d’abruti, ses propos de « bave du crapaud » sans chercher jamais à comprendre la démarche (pas franchement sophistiquée) de Durendal. Quel genre de philosophie des bac-à-sable avons-nous là ? Dès lors, Enthoven s’autorise, par la force de l’extrait de Durendal, a s’épouvanter que l’élite ne soit plus seule détentrice de la parole (et de nous parler de l’arrogance de ceux qui estiment que leur parole a une valeur, bien sûr).
Étonnant !
Quelle inculture du monde des Internautes vidéastes !
Comme si Durendal, malgré son nombre d’abonnés important, était investi d’une réelle influence sur la foule, comme si ses mots étaient avalés sans discernement par les Internautes décérébrés… Internautes qui sont bien plus nombreux à suivre le Fossoyeur de Film ou Karim Debbache, signe que la qualité d’analyse n’échappe pas complètement à la foule. Monsieur Enthoven ne cache pas le mépris total que lui inspire l’égalité revendiquée par l’Internet. Fallait-il qu’il manque d’intelligence (si, si) pour s’imaginer que son discours ne ferait pas polémique, comme il le dit dans sa réponse.
La cible d’Enthoven aurait dû recevoir les félicitations (ou les critiques) des amoureux de la culture du net. Félicitations pour avoir forcé la main des médias propres sur eux, critiques pour avoir attiré cet œil extérieur et condescendant sur un programme défectueux qui peut nuire à l’image des autres programmes. Et cela aurait dû en rester là, mais il n’était pas bien compliqué de prévoir que tout cela allait prendre d’autres proportions.
Alors voilà : des hordes d’internautes, souvent adulescents, éructent avec un art du langage moins consommé que monsieur Enthoven, avec moins de précautions oratoires ou discursives, que ledit philosophe est un pédant, un snob, un anti-révolutionnaire, bref un méchant. L’émoi un peu brutal, un peu simpliste des défenseurs d’Internet (et/ou de Durendal) oublie de respecter la liberté d’expression d’Enthoven, son droit à être pédant, son « sentiment d’avoir droit à une part du gâteau ». À la violence de cette réponse n’est pas étranger le mépris diffus des élites envers Internet, la méfiance qu’il suscite chez une certaine intelligentsia télévisée jalouse de ses prébendes, le discours condescendant des médias professionnels envers les amateurs. Il aurait fallu ignorer Enthoven, ou s’amuser qu’il « s’abaisse » enfin à parler d’un pan de la culture populaire largement snobée jusque-là.
Et Enthoven de s’étonner qu’un si petit extrait de son émission sur Tocqueville ait pu heurter. Il répond à ses contempteurs qu’ils sont des enfants, et par conséquent qu’ils devraient se taire. Oui, se taire. Tous ces siècles de philosophie pour en arriver là.
http://www.franceculture.fr/2014-12-24-de-quoi-durendal-est-il-le-nom
J’ai l’impression de voir un cuistre narcissique des médias officiels cracher sur un amateur peu éclairé, ce qui provoque l’approbation d’une certaine caste d’auditeurs, et dans le même temps déclenche la rage de certains membres de l’entre-soi de l’Internet près-de-chez-vous incapables de supporter qu’on juge leur petit monde. Car on peut approuver ces propos pour de mauvaises raisons, ou bien les rejeter pour d’autres mauvaises raisons. En face, le Philosophe (avec au moins une majuscule) en remet une couche en se moquant des « quenottes » des petits internautes, après s’être plaint qu’on le dépeigne comme condescendant. Il y a du biais cognitif là dessous.
De part et d’autre : du mépris et peu de remise en question, de part et d’autres des groupes humains qui ne voient que leur liberté à eux, et s’offense de celle des autres. Encore que nombreux ont été ceux à faire le distinguo entre défendre les vidéastes et défendre CE vidéaste.
La réalité me semble simple : Durendal a fait une blague nulle sur Godard ; il a sans doute eu tort de faire une blague nulle et méchante sur Godard, mais c’est subjectif, et c’est son droit. Enthoven a sauté sur l’occasion pour dire en termes intensément pédants le mal qu’il pense de ceux qui pour lui menacent la démocratie parce qu’ils gagnent en influence via des media populaires. Enthoven a eu tort de stigmatiser une partie de la culture Internet qu’il ne comprend visiblement pas, qu’il ne respecte pas, qu’il ne cherche pas à comprendre. Sa faute me semble plus grave, parce qu’il se prétend philosophe, et parce que personne ne le force à naviguer sur Youtube. Les fans hypersensibles de Durendal ont eu tort de s’horrifier qu’on ose critiquer leur idole, de « grégariser l’insolence »… (Enthoven n’a pas dit que des bêtises) tandis que les fans d’Enthoven ont tort de pérorer la supériorité de leur bon goût à la face de la plèbe imbécile.
N’est-ce pas vertigineux, ces gens qui ont tort partout ?
À moins que j’aie tort moi-même (hypothèse à toujours considérer étroitement), et qu’en réalité tout cela ait la moindre importance en dehors de nous montrer en grandeur nature les mécanismes sociologiques communautaires, le repli sur soi, le (anti-)conformisme, l’identification au groupe, l’internalisation des codes,le principe du bouc émissaire, la victimisation… etc.
Il y a un sociologue dans la salle ?
Enfin un avis objectif et non-manichéen ! Ça fait quand même du bien de voir autre chose que de la haine, du mépris et de la mauvaise foi. C’est une bonne chose que tout le monde en prenne pour son grade, il n’y a pas un groupe qui a entièrement raison ou entièrement tort.
Cependant, je trouve que vous vous attardez beaucoup sur le négatif (réactions hystériques des internautes, snobisme des auditeurs de France Culture) et beaucoup ne se reconnaîtront pas dans les descriptions que vous faites : en effet, malgré la polémique, beaucoup ont su prendre du recul et sont restés courtois malgré les divergences d’opinion.
Donc tout le monde n’a pas eu tort. C’est une bonne chose de mettre en avant certains problèmes de comportement, mais c’est important de ne pas généraliser.
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↓C’est très juste. Je me suis évidemment attardé sur les réactions auxquelles je voulais répondre, mais vous avez raison de rappeler que tout le monde n’a pas sombré dans la folle barbarie, et qu’il ne faut pas prendre les internautes pour une masse homogène. J’espère que ce n’est pas l’impression que je donne dans mon billet.
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↓Si malgré tout un peu.
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↓Très bon article, merci.
Moi ce que je retiens surtout c’est que les mecs se clashent à distance plutôt que de régler ça de manière intelligente.
Au lieu de rendre le litige intéressant et d’en débattre, ils préfèrent s’insulter mutuellement de con.
Je crois que c’est symptomatique de notre époque, fini l’échange courtois et le débat d’idée entre personnes civilisées. Place aux trolls et aux excités haineux.
Le web devient cynique mes frères !
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